Tombée de rideau sur une saison historique à l'Opéra de Nice

16/01/2012

Electre, accablée de bonheur, danse à en perdre haleine une danse désarticulée, déstructurée, jusqu'à son effondrement sur scène, et sous les applaudissements nourris d'un public niçois abasourdis et sous le choc de cet opéra coup de poing qui clôture une saison 2010-2011 en tous points exceptionnelle à l'Opéra de Nice.

Retour en arrière. La saison s'ouvre avec un évènement : Les Dialogues des carmélite de Francis Poulenc sous la direction de Michel Plasson et la mise en scène de Robert Carsen. La presse nationale s'enthousiasme pour cette production, et sa distribution 100% francophone impeccable. Télérama déclare "De la Première prieure de Sylvie Brunet à la sêur Constance d'Helène Guimette, en passant par la mère Marie de l'Incarnation de Sophie Koch, une nouvelle génération féminine, à la fois jeune et aguerrie, assure la relève d'un chant français en pleine majesté." La dernière note de la scène finale, glaçante exécution des carmélites sous la lame de la guillotine, laissera place un silence pesant que le public, ému aux larmes, eut presque du mal à rompre pour ovationner ce spectacle inoubliable.

La CenerentolaAprès ce choc émotionnel, la légèreté était de mise avec une Cenerentola de Gioacchino Rossini sous l'impeccable direction de Evelino Pidò et la mise en scène attendue de Daniele Abbado (le fils de Claudio). Le plateau accueillait (entre autres) Ruxandra Donose et le "barihunk" Giorgio Caoduro que les connaisseurs auront pu voir s'effeuiller avec l'ensemble de la distribution pour finir en sous vêtements. Certains regretteront un décor un peu sombre pour une "Cendrillon" de Noël, mais très mobile, faisant de ce "drame joyeux" un très agréable moyen d'aborder les fêtes de fin d'année.

Boris GodunovAu mois de février, c'est le monument de Modeste Moussorgski "Boris Godunov" qui éblouis le public sous la direction du mythique et fascinant (mais un peu fatigué) chef Russe Gennadi Rozhdestvnesky que nous connaissons tous en particulier pour son enregistrement-référence de Pierre et le Loup avec Gérard Philipe en récitant.
Evgeny Nikitin, dans le rôle titre, montre qu'il faut définitivement compter sur lui sur la scène opératique internationale, accompagné ici par le ténor Andrey Popov dans le rôle de l'intrigant Prince Vassili Chouïski, qui lui n'a plus à prouver quoi que ce soit, y compris sur la scène du Met Opéra de New York. En effet, le ténor tenait le rôle de l'innocent dans le même opéra de Moussorgski quelques semaine auparavant sur la mythique scène de New York. Quand à la basse Brindley Sherrat, il réussit à rendre son très long et très statique monologue du moine Pimède aussi captivant qu'un épisode des experts …
La mise en scène de Nicolas Joël, actuel directeur de l'Opéra de Paris, parfois très spectaculaire et judicieuse lors de la scène du couronnement où Boris, habillé presque en haillons au milieu du peuple russe se retrouve écrasé par un pantin arborant les habits d'apparat du Tsar, est hélas trop souvent neutre, un brin statique, et laisse finalement le public un peu dubitatif lorsque des portraits géants, le visage gribouillé, accompagne la mort de Boris à la fin de ce spectacle à la distribution de volée internationale.

L'Elisir d'Amore de Gaetano Donizetti remplaça la froideur fascinante de l'opéra russe par l'humour et la légèreté de l'opéra italien ! Philtre d'amour vendu par un charlatan, rivalité amoureuse entre un paysan naïf et un beau sergent en uniforme pour les doux yeux de la belle Adina, servis par une luxueuse mise en scène de Fabio Sparvoli, les ingrédients d'une réjouissante comédie étaient là. D'autant plus que la distribution internationale (Ekaterina Siurina, Charles Castronovo, Pietro Spagnoli, Mario Cassi sous la direction électrique de Enrique Mazzola) était de premier ordre. Peut être que le tout était un peu trop classique, un peu trop parfait pour réussir à vraiment convaincre, mais le public aura pu passer un très agréable moment plein de rires avec ce spectacle.

Orlando FuriosoUn autre évènement était la co-production de Orlando Furioso d'Antonio Vivaldi par l'Opéra de Nice, le Théâtre des Champs-Elysées et l'Opéra national de Lorraine. Les amateurs de musique baroques auront été comblés par la somptuosité de cette production, et les autres n'en doutons pas auront été convaincus que la musique baroque est une musique pleine de vie, de passion, de violence et d'amour. Une musique résolument moderne.
Déjà, la rumeur précédait la première à Nice: Paris avait réservé un triomphe à cette production et la même distribution quelques semaines plus tôt. La même (ou presque) distribution, emmenée par Jean-Christophe Spinosi et son ensemble Matheus avait enregistré en studio l'opéra de Vivaldi pour en livrer une nouvelle version référence. C'est donc presque une troupe qu'accueillait Nice avant l'Opéra de Lorraine.
La rumeur quand à elle disait vrai : C'est un moment d'exception qu'a pu vivre le public niçois.
Jean-Christophe Spinosi déborde d'une énergie et d'une joie contagieuse à la tête de l'ensemble Matheus. Le génial Philippe Jarouski a arrêté le temps avec un "Sol da te, mio dolce amore" bouleversant, longuement acclamé en plein milieu de la représentation. Ce chanteur français, une vraie méga-star internationale, aurait convaincu le plus récalcitrant réfractaire à l'opéra. Un miracle.
Marie-Nicole Lemieux donne vie à un Orlando somptueux, rageur, touchant, inoubliable. L'énergie dans le jeu et la finesse de l'interprétation de la québécoise ont conquis le public qui ne s'y est pas trompé en réservant un véritable triomphe à cette production exemplaire, qui fera date dans l'histoire de l'Opéra de Nice.

Enfin, la saison s'est achevé en apothéose, avec Elektra de Richard Strauss sous la direction d'une précision diabolique du jeune chef Michael Güttler qui passait sans encombre les pièges d'une partition particulièrement compliquée et riche.
Elektra, c'est un duel au sommet entre l'immense contralto polonaise Ewa Podles, chouchoute du public du Met Opéra de New York, dans le rôle de Clytemnestre, reine folle, et la soprano Larissa Gogolevskaia qui incarnait là une Electre pleine de rage et de vengeance abandonnée au milieu des immondices, au sous sol du luxueux hôtel particulier Art Déco de la reine Clytemnestre. Le duel vocal entre ces deux grandes dames a mis le public niçois en état de choc, il était d'une violence renversante !
Après la première, Forum Opéra, principal magazine électronique français dédié à l'Opéra twittait : "A Nice, Dernier beau coup de la saison Lanceron :Une Elektra d'anthologie sous la baguette magique de M. Güttler avec un casting de rêve"

Cette saison exceptionnelle montre à quel point la nomination d'Alain Lanceron, directeur d'EMI Classics France et président du label Virgin Classics, à la direction artistique était une chance pour l'Opéra de Nice. Hélas, comme on le sait, l'homme au carnet d'adresse bien rempli n'a pas été reconduit suite, dit-on, aux actions d'un élu de l'opposition de droite, ancien avocat (vous suivez ?), pour une sombre affaire de validité des contrats…
Il ne nous reste plus qu'à espérer que Jacques Hédouin et Philippe Auguin sauront sauver le navire pour la saison 2011-2012. Il se murmure que quelques production programmées par Alain Lanceron ont pu être sauvées du naufrage : Verra-t-on le retour de Jean-Christophe Spinosi dans la fosse de Nice pour la Flûte Enchantée de Mozart ?

Réponse attendue fébrilement à la rentrée.
Quand on a gouté au caviar, on a du mal à revenir aux oeufs de lump … 

Credit Photos : NiceGay, Dominique Jaussein

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